Wake Me Up Before You Go-go (O'Death)

✽ livres : 32 Date d'inscription : 17/04/2016 Localisation : Jamais très loin

Quelle sensation s'enfoncer dans les ténèbres peut-elle provoquer ? Pas l'obscurité d'une pièce sans lumière ou d'une nuit sans lune. Non, les véritables ténèbres ? C'est s'envelopper d'un manteau de vision encore imprégné de l'essence des bêtes massacrées, mêlé à l'arôme d'une pute de luxe. De s'immerger dans un saint chrême impie. De boire un verre après cinq ans d'abstinence.
C'est minable.
Il n'existe de métaphore qui permette d'effleurer même très vaguement ce qu'il pouvait éprouver en s'enfonçant dans les ténèbres.

Il ouvrit les yeux. Il sortit des ténèbres comme une renaissance. Sa première goulée d'air fut la même que celle du nouveau-né. Pareil à un tout-petit il hurla. Un hurlement intraduisible qui n'avait rien d'humain. Un cri plein de fricatives et de sifflantes. Perçant, aigre, strident. Sa première respiration lui brûlait les poumons, serait sa gorge et lacérait son larynx. Tout était noir autour de lui. Pourtant ses yeux étaient ouverts. Il voyait un fin trait de lumière sûrement du côté de ses pieds. La lumière au bout du tunnel ? Une bonne blague de la part de Papy.
Avec maladresse Lucifer chercha à comprendre. Il déplaçait ses bras comme si c'était des membres qu'il ne contrôlait pas, qu'il découvrait seulement maintenant. Dieu l'avait-il enfermé pour l'éternité dans une cellule de laquelle il ne pourrait jamais sortir ? L'envie de gueuler que c'était bien la peine d'avoir envoyé son fils crever comme un chien sur Terre avait été bien utile le fit crever d'envie, mais contre toute attente il se retint, il le garda pour lui. Dieu avait été naïf au point de le garder en vie une première fois et comme simple punition l'avait exilé du Paradis. Où l'avait-il conduit cette fois ? Dans un endroit où un silence de mort régnait, exigu.

Ce n'était pas les ténèbres, c'était bien moins confortable.

Jeremiah se posait rarement de questions sur ce qui faisait l'étrangeté de son métier. C'est un domaine bien trop révélateur pour que l'âme en garde le moindre doute. Alors, ce gamin, à la châtaigne décolorée et aux tendances dépressives, il avait accepté de laisser tomber l'affaire. Trop sensible, trop fleur bleue. Comment peut-on faire un bon second avec une telle mentalité ? L'adolescent s'était bourré de petites pilules blanches et Jeremiah l'avait très gentiment raccompagné jusqu'aux limbes, car il refusait son rôle. Fallait-il croire qu'il n'était sans doute pas pour rien à sa décision de se noyer de somnifère. Jeremiah ne se posait pas la question. Car, il se posait rarement de questions.

Dans ce genre d'affaire, lorsqu'une âme connait le repos, que son corps se met à se décomposer et que rien ne viendra perturber le repos éternel du mort, Jeremiah oubliait son prénom et cessait de sentir sa présence. Mais, alors que la veille, il connu cette paix-là de se débarasser d'un nom parmi tous ceux qui innondaient sa mémoire, le lendemain, sa présence dans ce monde vint une nouvelle fois le perturber et lui tirailler la conscience. En général, lorsque la Mort décidait d'épargner une âme, il en était le premier averti. Pourquoi, non de bordel de merde, ce gamin remuait-il encore ? S'il se posait la question, c'était qu'un dysfonctionnement s'était glissé dans le système. Pas le genre de chose que l'ange appréciait beaucoup. Alors, d'un clignement furtif des yeux, il se déplaça jusqu'à la morgue.

Il n'y avait vraiment que lorsque les morts refusaient de mourir que Jeremiah avait eut l'occasion de venir. Cet endroit lui inspirait le travail accompli et l'efficacité. Les cimetières et les morgues de New-York étaient ses archives personnelles. Une odeur d'antiseptique s'accrochait furieusement au vague parfum de putréfcation. Lorsqu'il entra, les néons grésillèrent avant de s'allumer. Un sifflement sourds brisait le silence de la pièce. Cet endroit était le même, dans le monde des vivants que dans celui des morts.

Les mains dans les poches, Jeremiah concentra son attention sur lui. Le gamin. Il n'était pas sous l'une de ces couvertures. Il serait donc dans l'un de ces casiers. En traversant les rangées de corps, il entendit que leur chair de flétrissait à son passage. Les légistes ne seront pas heureux de retrouver le fruit de leur labeur dans cet état. Il passa près des casier tandis la pièce se remplissait doucement des nuances subtiles qu'apportait le parfum de décomposition. Un crâne tomba sur le sol. Jeremiah s'arrêta près d'un casier. Il était là. Il le sentait. Alors, sans qu'il n'eut à sortir ses mains de ses poches, il ouvrit la poignet qui résonna fort dans la pièce. Et le grand lit coulissant sortie, d'un mouvement sec et rapide.Il vit son visage alors s'éclairer d'une lumière sans doute trop éblouissante pour lui. C'est en voyant les traits de son visage, en observant sa grimace de douleur ou de surprise, qu'il comprit qu'il ne s'agissait pas du gamin. Il songea alors à un esprit des Hadès ayant trouvé un passager vers celui des vivants.

Rebienvenu chez les vivants.